La pub est ovale
Je n'ai pas la prétention, loin de là, de connaitre aussi bien que Beber ou Miss Eronrouge toutes les arcanes du rugby. Mais je crois pouvoir dire que grâce à un grand-père originaire du sud-ouest, terre mythique de l'ovalie hexagonale, j'ai bénéficié dans mon enfance d'une certaine éducation aux us et coutumes du ballon ovale. Aussi la présente Coupe du Monde ne m'est pas totalement étrangère. Et, qui plus est, elle me permet de revenir un peu en arrière et de comparer la période que nous vivons à ces années où je regardais sur le petit écran les exploits des dernières générations d'amateurs, celles allant de Jean-Pierre Rives à Philippe Sella. Nul n'est besoin de dire qu'aujourd'hui cette époque est belle et bien morte et enterrée. A tel point qu’il est possible de se demander si le mot pub n’a pas changé de définition. D'habitude en rugby ce mot se prononce "peub" et est synonyme de bars irlandais ou anglais, d'instants traditionnels de troisièmes mi-temps aussi joyeuses qu’houblonnées. Mais depuis plusieurs années maintenant, et singulièrement depuis le 7 septembre dernier, il semblerait que cette acception soit en passe d'être supplantée par la simple abréviation du mot publicité.
Elles sont venues, elles sont toutes là, les marques. Les marques qui sponsorisent la Coupe du Monde, mais aussi l’équipe de France ou celle des All Blacks. Et même celles qui ne sponsorisent rien ni personne veulent profiter de l’éclairage mondial que cet évènement leur donne. Tout est bon, de l’affichage en 4 par 3 dans les centres ville aux spots assénés avant, pendant et après les matchs. Oui, tout est bon, de l’utilisation d’anciens internationaux à celle des sacrosaintes valeurs de l’ovalie. Mais justement, face à un tel déferlement médiatique et argentier, il est possible, et même souhaitable selon moi, de se demander où sont donc passées les dites-valeurs ? Solidarité, fair-play, camaraderie, humanisme, altruisme ne se sont-ils pas perdus dans la mondialisation et la marchandisation de ce sport, de ce jeu ? A force de vouloir se rapprocher du sport roi, le football, le rugby n’aurait-il pas finalement perdu ce qui faisait, si ce n’est son essence, tout du moins sa spécificité ?
Le rugby a, de tout temps, était considéré comme un sport de voyous pratiqué par des gentlemen, un sport rude, viril au possible mais aussi humble, sincère. Où est donc l’humilité dans ce déferlement médiatique comparable à une attaque des All Blacks ? Où est donc la sincérité quand il s’agit, avec un même produit d’appel, de nous vendre voitures, assurances, services bancaires et autres crèmes apaisantes ? Où sont donc passées ces sacrosaintes valeurs quand on voit les français s’afficher partout et pour tout, y compris dans des calendriers que n’aurait pas renié le lecteur du défunt Gay-Pied Hebdo. Où sont donc passées ces valeurs quand écossais et néo-zélandais acceptent de jouer un match en arborant quasiment les mêmes couleurs, juste parce que leurs sponsors respectifs avaient décidé de toucher à leurs maillots habituels, car qui dit nouveau maillot dit nouvelles ventes ?
Et où sont ces valeurs quand tous les joueurs désormais, du plus petit de la plus petite des nations jusqu’au pilier néo-zélandais, ont des bras comme mes cuisses et des cuisses comme des poutres maitresses? Où est passé ce principe selon lequel tous les hommes du village pouvaient jouer sans être ridicule ? De la grande asperge au petit nerveux en passant par le pilier nourri au cassoulet toutes les morphologies mais aussi toutes les origines sociales, toutes les ethnies étaient, voir devaient, être représentées. Aujourd'hui, alors que les rugbymen professionnels ressemblent de plus en plus à des haltérophiles sous stéroïdes, que reste t'il de ce mélange des êtres? Aujourd'hui, alors que la 6ème édition de la Coupe du Monde en termine avec la phase dite "de poules", que reste t'il de ces valeurs ? Et je ne parle même pas du fait que 60% des matchs ne soient accessibles que sous réserve d’être un abonné payant à un network cripté …
En cherchant, pas très longtemps d'ailleurs il me faut bien l'avouer, j’en ai retrouvé quelques unes, tout au long de ces semaines de compétition. J’ai retrouvé la vaillance chez toutes ces équipes dites « petites » qui sont arrivées, à un moment ou à un autre, à marquer un essai à leurs adversaires néo-zélandais, australiens ou sud africains. J’ai retrouvé l’humilité chez les cadres argentins qui, bien qu’évoluant dans les plus grands championnats et bien que champions du monde junior il y a une dizaine d’année pour beaucoup d’entre eux, sont rentrés la tête la première dans cette compétition, sûrs d’eux mais respectueux de leurs adversaires. Ces argentins qui depuis une demi douzaine d'années maintenant font régulièrement le bonheur des clubs français et qui ont peut être, par un cruel retournement du destin, fait le malheur de l'équipe de France en la battant lors du match inaugural. Chez les français, justement, j’ai retrouvé la solidarité, ils ont été touchés lors du premier match mais jamais ils n’ont été coulés, même si sous le toit de Cardiff, dans 7 jours, la marée noire devrait être une réalité ne faisant plus seulement peur aux écologistes bretons. J’ai retrouvé le simple plaisir de jouer, de « se dépouiller » pour l’autre chez les tongiens. J’ai vu aussi de la classe pure dans certains mouvements sud africains, qui sont tout autre chose qu’une équipe construite de bric et de broc, pour le politiquement correct. Et j’ai vu aussi, et surtout, les inattendus fidjiens venir sans coup férir régler son compte au rugby gallois.
Bref, j’ai vu de belles choses, vivement le week-end prochain et vivement qu’en quart les bleus nous refassent la demie-finale de 1999 !
(PS : En illustration, un petit "medley" de cette demie-finale mythique, France : 43 - Nouvelle Zélande : 31).